Athènes, Grèce: Quelques mots sur l’exécution anonyme d’un dealer à Exárcheia

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lundi 13 juin 2016

Il y a quelques jours dans le quartier d’Exárcheia, à Athènes, un homme de 35 ans, membre actif de la mafia albanaise et dealer connu du mouvement anarchiste pour des propos déplacés envers des compagnonnes et des attaques au couteau, a été exécuté. Touché par quatre balles, il est mort une heure plus tard à l’hôpital.

Cette mort intervient dans un contexte de tensions, depuis plusieurs années, entre les mafias (un règlement de compte entre mafieux avait déjà causé la mort d’un homme en 2013 à Exárcheia), mais aussi entre le mouvement anarchiste et l’Etat et ses relais mafieux, au sujet de la prolifération des drogues à Athènes, et particulièrement à Exárcheia, ou des coups de feu avaient déjà été tirés sur le Kvox occupé, et de nombreuses bagarres avaient éclatés avec les vendeurs de mort.

Dans la presse grecque (où les rapports d’autopsie ont été publiés…), les flics pretendent explorer les deux pistes: celle du règlement de compte entre mafieux, et celle d’une action anarchiste prémeditée.
Il y a trois mois, un cortège anarchiste de 5000 personnes, parmi lesquelles plusieurs compagnons ostensiblement munis d’armes à feu, avait défilé sous forme d’avertissement dans le quartier, avec un message clair contre les dealers:

Si les enquêteurs penchent pour l’instant pour la première hypothèse (règlement de compte entre mafieux «à 60% contre 40%», d’après la presse), ils signalent cependant que les deux armes utilisées semblent similaires à celles exhibées lors de cette manif, des tokarev, pistolets semi-automatiques, plutôt désuets.

Il serait donc à la fois imprudent et idiot d’accuser les anarchistes de cette action qui n’a (à ce jour) pas été revendiquée (en Grèce, les attaques anarchistes sont toutes revendiquées, mais dans des délais divers), et qui ne leur est pas attribuée, et pire encore, de la commenter comme on commenterait le match d’hier…
Mais ici en France, sur twitter, quelques imbéciles postant du matin au soir leurs opinions politiques hyper-radicales sur lit de grammaire alternative ou des photos de chats, ont déjà décidés d’attribuer cette attaque aux anarchistes, et la relient, on ne sait par quel miracle, à notre site, passons là-dessus, comme la caravane… Au-delà de l’indélicatesse envers nous-mêmes, au-delà d’une absence totale de prudence et de retenue (ce sont les mêmes individus qui passent leurs journées et leurs nuits à opiner sur la taille du pénis de Julien Coupat, à annoncer à grand renfort de mythomanie performative et virtuelle des meurtres, des incendies, à localiser des “camarades” dans les manifs en fournissant des informations sur leurs déplacements, leurs tenues, dans des moments d’affrontement, nous sommes certains que le renseignement raffole de ces abrutis next gen) envers les compagnons grecs, il s’agit pour ces quelques chroniqueurs live de débattre philosophiquement (en 140 mots…) sur la violence, le meurtre, la “peine de mort”, et l’action directe. Un débat auquel, bien sur, ne pourront jamais participer les premiers concernés, puisque le propre d’une action clandestine est la clandestinité. Incroyable, non?
Sans aucune source (puisqu’il n’y en a pas!), ils affirment que l’attaque a été revendiquée, ils citent même des phrases d’un communiqué imaginaire (nous vous épargnerons la centaine de tweets du même acabit, par une quinzaine d’abrutis différents):

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La source? Ah non c’est vrai, on s’en fout… lolilol!

Si tu aimes le bruit de la craie sur le tableau, clique moi pour encore plus de bonheur!

Ceci étant dit, revenons au sujet qui nous intéresse. Cette manifestation répondait aussi à un contexte tendu, en fait le même, puisqu’une semaine auparavant, le 27 février, trois compagnons d’Exárcheia qui avaient demandé à trois hommes de cesser de proférer des insultes misogynes aux passantes ont été violemment attaqués au couteau au niveau de la tête. Ils ont clairement tenté de les tuer. Un compagnon souffre d’une lésion cérébrale tandis qu’un autre sera hospitalisé avec un grave traumatisme crânien. Seule l’arrivée rapide d’occupants du Kvox et d’autres anarchistes du quartier, provoquant la fuite des trois nervis de la mafia, leur ont évité la mort.

Dans ce contexte, n’importe qui avec un peu de bon sens révolutionnaire et de conséquence, comprendra que la lutte contre les dealers est aujourd’hui une question de vie ou de mort à Exárcheia, il y a des blessés graves pour en témoigner, et cela fait des années que la tension ne cesse de monter dans le quartier.

La came et ses multinationales doivent être combattues au même titre que les Etats, et autres proto-Etats (des cartels de la came en Amérique du Sud à Daesh). Loin de toute considération morale sur l’usage et la vente de drogue, qui sont bien deux choses distinctes à critiquer de façon distinctes, il faudra bien en finir avec la came et les dangers qu’elle représente, notamment du point de vue des compagnons et compagnonnes d’Athènes.
Pour le mouvement anarchiste protéiforme d’abord, qui ne saurait continuer son extension face à la montée de la consommation d’héroïne (et de pires saloperies encore) qui ravage aujourd’hui les imaginaires, les cerveaux et les corps de grandes strates de la société dans un contexte de crise économique aiguë ; avec la complicité active des forces de l’ordre qui voient la prolifération des drogues (et donc des junkies, qui font toujours de bons indicateurs de police) dans le quartier historique des anars, comme une très bonne chose. Et pour les individus qui le composent, dont la sécurité physique est incontestablement menacée par la présence de ces mafias esclavagistes qui cherchent à concurrencer le capital conventionnel sur son propre terrain économique, et l’Etat dans la mise en œuvre d’une paix sociale à coup de substances pour garantir la tranquillité des échanges.

Loin de tout hygiénisme ou de tout culte du corps sain, que l’on peut parfois retrouver sous forme de dérive légère chez quelques compagnons grecs, et loin de la pratique des quelques raids violents menés contre quelques hordes de zombies apathiques dans les rues adjacentes de l’école polytechnique ces dernières années, nous ne pouvons que souscrire à la conséquence pratique des compagnons qui ne se contentent pas de grands discours moraux et grandiloquents sur les réseaux sociaux, et qui ont décidés de passer à l’action directe contre les larbins du deal et les intérêts qu’ils défendent. La manifestation précédemment citée fait partie de cette démarche. Concernant l’exécution du dealer, nous ne nous avancerons pas sur la nature de cette attaque, bien que si elle venait à être revendiquée dans cette démarche, nous la soutiendrions sans chichi. Car un révolutionnaire n’a pas pour pratique de bavarder sur les actions des autres, profitant de l’anonymat pour mettre en place la récupération politique d’actes anonymes, pour certains, ou la condamnation inconséquente de commentateurs loin de tout enjeu révolutionnaire et visiblement, plus loin d’Athènes et du mouvement anarchiste que de Pluton, pour d’autres.

A ceux et celles qui déjà s’excitent de commentaires moraux sur la sacralité de la vie ou sur la « peine de mort », éteignez vos cierges et retirez les toges… La révolution ne pourra être l’œuvre que de celles et ceux qui s’attaquent et qui s’attaqueront à la domination, pas de belles opinions éclairées, pas de légitimité, pas de diner de gala au programme, et pas de programme du tout.
La dite « peine de mort », comme la Vérité et la Justice, ne peut être dispensée que par une autorité supérieure, comme l’Etat qui en détient le monopole exclusif. Non pas deux individus à moto. Cela relève du contresens en plus de la calomnie. Penser sans le vocabulaire de l’Etat, hors de ses conceptions étriquées de la vie et des rapports humains, voila une perspective à laquelle nous devrions tous travailler, pour tuer le citoyen-flic dans nos têtes, qui nous souffle chaque jour : « la violence doit rester le monopole de l’Etat, la vie et l’humanité sont sacrées, ceux qui s’approprient la violence sont forcement fous, dérangés ou barbares ». Mais les barbares ne sont ils pas précisément celles et ceux qui menacent la civilisation ?
La mort d’un humain ne recèle rien de bien réjouissant en elle-même, et les fantasmes morbides, punitifs doivent être proscrit par une éthique. Mais cela ne signifie pas se voiler la face.

La rupture avec l’existant ne pourra pas être judiciariste, et la révolution ne sera pas judiciaire [1].

Parmi les trois agresseurs armés de couteaux que nous mentionnions plus tôt, se trouvait un certain «Habibi» (pseudonyme), petit chef de 35 ans, qui avait déjà poignardé une vingtaine de personnes dans le quartier, parmi lesquelles une anarchiste qui avait publié sur Indymedia Athènes un message contre lui et son réseau mafieux. C’est lui-même, emblème de la guerre d’usure entre anarchistes et dealers, qui a été exécuté il y a quelques jours à 11h30 du matin par deux assaillants cagoulés à moto, à 100 mètres de la place d’Exárcheia, rue Themistokleous, ils ont rapidement quitté la scène après avoir tiré cinq à six balles, selon la police. Quelles que soient leurs motivations, efharisto !

Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici,
alors guerre aux dealers de faux-ailleurs.

Le 11 juin 2016,
Kathairesis
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PS: Un rassemblement s’est tenu aujourd’hui (samedi 11 juin) à 21h sur la place principale d’Exárcheia, «contre la mafia, la répression de l’Etat, et le cannibalisme social ».

Notes

[1] Yves Coleman, qui dans son texte au titre ridicule “Camarades, votre LOI DU TALION* ne sera jamais la mienne!” (félicitation!), dont il a retiré, nous ne savons pas quand, ni pourquoi (YC nous parle de “charité… athée”), les références à deux textes publiés sur notre site après les attentats de janvier. Un texte que nous avions ignoré, par charité… anarchiste, mais aussi parce que nous avions mieux à faire que de débattre à l’intérieur des contours de la démocratie.

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